lundi 27 avril 2009

La Loi de la Jungle

C’est vêtu d’un simple calimbé, habit traditionnel Wayana [1] constitué d’une étoffe nouée autour de la taille, que Thierry Salantin anime au quotidien son stand de sensibilisation aux difficultés des amérindiens. Sur les traces d’André Cognat [2], cet ethnologue de formation s’est immergé dans le milieu naturel des indiens. Ayant vécu treize années au rythme de ceux-ci, c’est tout naturellement dans sa tenue d’affection qu’il nous a présenté le documentaire de Philippe Lafaix La loi de la Jungle.

Ancienne colonie aujourd’hui intégrée en département, la Guyane, et plus particulièrement sa population indigène, est en proie à une catastrophe qui n’a rien de naturelle. En effet, loin des cartes postales paradisiaques des toutes proches Antilles, ce département français est victime de la cupidité de certains individus. Moins médiatique, la Guyane subit l’exploitation sauvage d’un minerai attisant toutes les convoitises : l’or. Cette exploitation - l’orpaillage - dure depuis plus d’un siècle. A partir des années quarante, cette activité s’est quelque peu ralentie, mais une reprise s’est effectuée dès les années quatre-vingt, pour s’intensifier suite à la publication de rapports sur la richesse du sous-sol guyanais [3]. Les rapports de force engendrés par l’orpaillage ont progressivement transformé cette partie de la République, soumise en principe aux mêmes lois que la métropole, en véritable zone de non-droit.

Au départ, l’exploitation de l’or était le fait d’organisations françaises et brésiliennes qui se partageaient agressivement cette activité ; les favelas de certaines villes du Brésil (Macapa, Belém et Manaus) constituant un réservoir de main d’oeuvre peu exigeante de ses conditions de travail. Mais, rapidement, cet afflux de travailleurs brésiliens - les garimpeiros - va modifier la donne. S’appropriant certaines zones de la forêt, ces brésiliens se lancent à leur tour dans le lucratif orpaillage « illicite ». Très lucratif même, quand on sait que, sur 45 tonnes récoltées, seulement 5 tonnes sont déclarées. Outre l’obligation de respecter un cahier des charges précis (quotas de déforestation, obligation de replantation ...), l’obtention d’une autorisation d’exploitation, d’un délai de 2 à 3 ans, incite encore davantage à l’illégalité. On estime ainsi à 70% la proportion d’organisations clandestines d’orpaillage.

Cette activité illégale n’est certainement pas le fait de ces seuls immigrés. Toutes les entreprises du secteur la pratiquent. Et l’accumulation de richesses a conféré à certains une mainmise locale digne du moyen âge. Pour étayer cette affirmation, on peut citer un fonctionnaire français qui, sous couvert d’anonymat, déclare quela vie d’un homme peut valoir quelques francs ... Un homme, Mr Jean Bena (pour ne pas le citer ...), symbolise cette situation hégémonique. Plus qu’un symbole, c’est devenu une réalité bien difficile à supporter. Agacé par cette concurrence étrangère, bien qu’il ait lui-même contribué à les faire venir sur place, Mr Bena a sollicité les autorités françaises pour rétablir un ordre à son profit. Pour d’obscures raisons - prise de pouvoir des orpailleurs ? - des milices et autres groupes armés se sont constitués pour terroriser ces indésirables brésiliens. Pourtant, en 1998, l’armée avait effectué une opération de retour à l’ordre dans le village de Saint Elie, où près de 300 garimpeiros avaient pris position. Certes, cette action eut le mérite de rétablir l’ordre sur cette commune, mais elle n’a fait que déplacer le problème de quelques kilomètres. De plus, ce site d’exploitation a été récupéré par la société Guyanor, dont certains élus et hommes d’affaires influents sont actionnaires ... On peut donc légitimement s’interroger sur les vraies raisons de cette intervention. Surtout que, depuis, la situation semble s’être détériorée.

Déjà bien meurtris par l’activité de ces chercheurs d’or, certains endroits de Guyane ont pris des allures de Far West, notamment les environs de Maripasoula, avec les comportements correspondants. Les règlements de différends à l’arme à feu étaient déjà fréquents dans la région, mais l’escalade de la violence dans cette opposition nous renvoie à d’atroces images. Chasse à l’homme par de mystérieux commandos, rapt par de faux policiers, torture et meurtres ... les témoignages présentés dans le documentaire sont effrayants. Face à cette barbarie organisée, les représentants de l’ordre républicain font preuve d’une étonnante mansuétude, au point que l’on peut même parler de complaisance. Quoique à leur décharge, il faut reconnaître qu’ils manquent de moyens pour effectuer leur tâche. Par exemple dans la région de Camopi, seulement trois gendarmes ont la charge d’un territoire de 12 000 km², dont 180 km de frontière avec le Brésil. Dans ces conditions, on imagine aisément l’existence de zones de non-droit et les possibles largesses dont bénéficient certains. A l’exception du centre spatial de Kourou, l’orpaillage est l’activité qui génère le plus de richesses et donc, comme nous l’avons énoncé plus haut, des « baronnies » locales cumulant les passe-droits.

Un ministre brésilien a même écrit à Jacques Chirac pour lui signifier son inquiétude quant au sort de ses compatriotes, tout en lui demandant de prendre des mesures. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, le respect du droit républicain dans ce département, soumis au bon vouloir mégalomane d’individus sans scrupules. Des accusations font ainsi état de financement de partis politiques locaux par les orpailleurs. On murmure même que ces financements illicites iraient jusqu’à la métropole.

Devant la déterioration et la médiatisation croissante de la situation [4], le gouvernement a décidé d’agir. Peut être d’ailleurs plus par goût de la symbolique que pour réellement rétablir l’état de droit. Ainsi, Mr Sarkozy a nommé comme préfet de Guyane son homme à poigne, Mr Ange Mancini. Curieusement, celui-ci semble s’être transformé, troquant sa robuste poigne pour une main moite dans un gant Mappa. A moins que ce ne soit une tactique bien dissimulée.

Le cas des Amérindiens et de leur milieu naturel

Non seulement l’orpaillage engendre un déficit démocratique, mais cette activité est également source d’une insidieuse pollution. En effet, pour amalgamer l’or, il faut utiliser beaucoup de mercure. Des différentes techniques existantes, les plus performantes permettent de récupérer jusqu’à 85% du mercure utilisé. Malheureusement, pour des raisons économiques et pratiques, la méthode utilisée en Guyane consiste à chauffer les matières à l’air libre. Ce qui provoque d’importants rejets, de l’ordre de 700 g de mercure par kilo d’or produit. Depuis 1855 et la découverte de la première pépite, plus de 300 tonnes de mercure ont ainsi été déversées dans la nature. Et le traitement de ces rejets ne préoccupe pas les orpailleurs, ceux-ci préférant épandre ou enfouir leurs déchets divers : batteries usagées, huiles de vidange, résidus de cyanurisation, mercure ... Comme par exemple sur les îlots qui se sont constitués lors de la construction par EDF du barrage de Petit Saut en 1990. A la perte écologique, causée par l’inondation d’une surface équivalente à celle de Paris, est donc venue s’ajouter cette pollution.

La population indigène, vivant en grande partie de la pêche, se voit être lentement contaminée par le mercure, préalablement assimilé par les poissons. Cette contamination se révèle très pernicieuse. On a ainsi pu mesurer, lors de précédents, l’étalement dans le temps des conséquences sanitaires du mercure. En 1932, des quantités de mercure avaient été rejetées progressivement dans les eaux de Minamata (Japon). Ce n’est que 23 ans après que sont apparus les premiers cas de décès et une anormale multiplication de handicaps physiques et de malformations foetales. Par la suite, le lien avec les émissions de mercure a pu être démontré. Un cas analogue s’est produit en Irak dans les années soixante-dix, suite à l’ingestion de céréales traitées avec un fongicide contenant du mercure. On a dénombré 6000 cas d’infections, dont 600 décès, dus à cette intoxication. Les symptômes d’une contamination au mercure organique [5] se traduisent, à court terme, par une réduction du champs visuel, une baisse de l’acuité auditive, des troubles de l’équilibre et de la marche. A plus long terme, les personnes exposées souffrent d’encéphalopathie, d’une détérioration intellectuelle, de cécité et de surdité. A noter que la population la plus exposée est celle des jeunes enfants, mais c’est au stade foetal que l’infection est la plus profonde car irréversible et difficilement décelable. A Minamata, on a relevé des problèmes neurologiques sévères chez des nouveaux-nés, alors que les mères ne présentaient aucun des symptômes décrits ci-dessus.

En Guyane, cette pollution prend des proportions très inquiétantes. Selon une étude épidémiologique réalisée en 1997 par le Réseau National de Santé Publique [6], le seuil limite fixé par l’Organisation Mondiale de la Santé (10 µg/g de cheveux) est largement dépassé. Dans certains villages Wayanas, 65% des adultes et 80% des enfants présentent une imprégnation au mercure supérieure à la norme de l’OMS, dont des cas extrêmes (27,2 µg). Alors qu’en moyenne, la population guyanaise non amérindienne connaît une concentration maximale de 3 µg/g de cheveux. Certes, le fait qu’une étude ait été menée sur ce thème témoigne d’une préoccupation quant au sort réservé aux amérindiens. Cependant, c’est en 1995 que le dernier et le plus complet rapport sur les richesses aurifères du sous-sol a été publié. A partir de cet instant, l’orpaillage s’est intensifié encore davantage, ce qui ne fait qu’accélérer cette contamination et ses conséquences. Quand on sait, de par les précédents, le décalage entre l’intoxication et l’apparition de symptômes décelables, on ne peut que s’inquiéter de l’avenir de ces populations très exposées. On estime que ce n’est qu’à l’horizon 2013 que ces conséquences seront directement observables. Mais il sera déjà trop tard ... Rendant la situation encore plus malsaine, l’exploitation de l’or risque même de s’étendre au territoire jusque-là protégé des amérindiens [7].

Depuis une dizaine d’années, un projet de parc naturel est à l’étude, mais il stagne en raison de désaccords entre élus, compagnies minières, écologistes et représentants des amérindiens. En effet, les sous-sols aurifères et les zones de riche biodiversité coïncident, ce qui ne facilite pas la délimitation géographique du parc. Bien que ce projet puisse représenter une solution pour les amérindiens, en leur conférant de nouveau un espace protégé, il est pour l’heure davantage motivé par des intérêts économiques que par une réelle volonté de sauvegarde du patrimoine. Le développement de l’activité touristique risque également de transformer les amérindiens en attraction pittoresque, dans un esprit totalement opposé à ce qui leur a permis, jusqu’à aujourd’hui, de préserver leur identité. Par ailleurs, cette inclusion de la population autochtone dans une logique économique à l’occidentale représente un autre problème majeur. Dénoncée par André Cognat, l’attribution aux amérindiens du RMI, en échange d’une officieuse soumission, les place dans une situation d’assistanat, notion qui leur était jusque-là étrangère [8]. C’est par la connaissance et l’adaptation à leur environnement que les amérindiens ont pu traverser les époques tout en conservant mode de vie et système de valeurs. Les considérer comme une entité économique leur serait donc plus que préjudiciable, et mettrait en péril la pérennité de leur civilisation.

Il est aberrant qu’aujourd ?hui rien ne se fasse pour stopper cette catastrophe ; la Guyane, sa population indigène et sa forêt équatoriale représentant un immense patrimoine. Cette part de la forêt amazonienne est d’ailleurs la seule appartenant à un pays du Nord, qui n’a pas besoin de puiser dans cette richesse naturelle pour se développer. C’est là une chance inestimable qu’il s’agit de ne pas laisser passer.


Si cette situation vous interpelle et que vous vous demandez que faire, vous pouvez contacter le nouveau préfet pour lui demander d’agir en faisant respecter la loi républicaine dans sa juridiction. En métropole, la vente et l’utilisation de mercure est strictement réglementée : que cette réglementation s’applique dans les faits, partout.

Adresse : Mr Ange Mancini Préfecture de Guyane Place de Grenoble 97300 Cayenne


Notes

[1] Ethnie amérindienne du sud-est de la Guyane française. D’autres ethnies vivent sur le reste du territoire : Emerillons, Tekos, Wayampis, Palikours, Arawaks, Galibis, Noirs Bonis (noirs réfugiés)... Au total, la population amérindienne est estimée entre 3500 et 6000 personnes

[2] André Cognat, français d’origine, vit depuis 1961 parmi les Wayanas, dans le village d’Antecume-Pata. Fervent défenseur des amérindiens, il est notamment l’auteur de l’ouvrage J’ai choisi d’être indien (coll Vivre là-bas, ed l’Harmattan).

[3] Lire l’article de Nicolas Ancellin, paru dans le n° 260 de Géo, Octobre 2000.

[4] Mr Bena a frappé un journaliste devant le palais de justice de Cayenne.

[5] Il existe une différence entre le mercure organique, absorbé indirectement par l’alimentation, et la pollution au mercure minéral qui concerne principalement les professionnels au contact direct du produit et qui, par exemple, inhalent les vapeurs s’émanant lors du procédé de chauffage or/mercure.

[6] http://www.invs.sante.fr/publications/mercure/index.html

[7] L’arrêté préfectoral du 14 Septembre 1970 reconnaissait aux amérindiens un territoire protégé au sud de la Guyane. Sur cette zone de 30 000 km², soumise à autorisation par cet arrêté, vivent trois ethnies amérindiennes (Wayana, Wayampi et Teko).

[8] lire l’article de Délia Blanco Guyane, journal de voyage en amérique française, disponible à l’adresse suivante : http://www.regards.fr/archives/1997/199707/199707pla06.html

1 commentaire:

  1. c est un honte pour la france, qui se doit de respecter ls droits de l homme depuis quelle les a inventes, du moins su le papier.
    il faut fair de la guiane-f un parc national exemplaire!

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